Echapper à la ville et…. s’échapper un peu soi-même.

« C’est une route qui fait recette
Route des vacances
Qui traverse la Bourgogne et la Provence
Qui fait d’ Paris un p’tit faubourg d’Valence
Et la banlieue d’Saint-Paul-de-Vence… »

Charles Trenet.                        

Voilà que me reviennent les paroles du fou chantant. Nationale 7. Ce côté cœur léger quand on se berce de lumière et que la route devant nous, entièrement dégagée, est une promesse d’ailleurs… Devant moi s’étire un canal aux eaux sereines bordé d’une végétation pleine de vitalité.

Les verts sont mordants même si certains arbres tardent encore à se parer de toutes leurs feuilles. Le long de ce ruban aquatique se déroulent une piste asphaltée, un talus où les herbes hautes dansent avec les graminées et une succession sage de peupliers. Ce serait des platanes, je me projetterais dans le Midi. J’ai droit à une route des vacances… en réduction.

C’est le premier jour du printemps, la météo a mis ses habits de fête et je me suis échappé de Paris. Ma « nationale » ne fait guère plus d’un mètre de large et on y croise uniquement des vélos et des piétons.

Mais le voyage a bel et bien commencé.

Je viens de passer le Parc de la Poudrerie à Sevran. A quelle distance suis-je déjà de mon 12è arrondissement de départ ? Je n’en sais rien car je n’ai pas de compteur et ne cherche d’ailleurs pas à calculer. Je suis déjà bien loin de l’univers urbain que j’ai quitté et mon sentiment d’éloignement se renforce de la mémoire de tous les environnements que j’ai d’ores et déjà traversés.

Quitte à aller jusqu’au bout du dépaysement, je m’autorise quelques crochets en sous-bois sur des étroites pistes en terre battue que la pluie a épargnées depuis quelque temps. Mon Fauve me le permet même si sa vocation n’est pas de remplacer un VTT. Cette liberté de pousser un peu plus loin l’échappée, en empruntant au sens propre des chemins de traverse, ajoute une dimension véritablement ludique : slalom entre les arbres, succession de compressions et de bosses en forme de montagnes russes, je joue et, comme à chaque fois que je m’accorde ce plaisir, je rajeunis de 20 ans.

La facilité du Fauve m’a déjà séduit à plusieurs reprises durant le trajet. Les pistes cyclables qui longent le canal Saint Martin en direction de la Villette sont pleines de charme mais aussi de surprises.

Il faut composer avec la circulation, les piétons nombreux et parfois distraits et, en cette période active de travaux, avec des déviations que l’on devine plus qu’on ne peut véritablement les suivre, la voie aménagée disparaît, il faut escalader un trottoir, rouler sur une portion de pavés, sauter au-dessus d’un passe-câbles, chercher son chemin, sans oublier de garder les yeux grand-ouverts : on est là pour en profiter !

 En fait, tout s’est bien déroulé. Mon animal a supporté toutes ces brimades sans broncher avec une parfaite capacité d’adaptation et toujours dans le plus grand silence, la dimension suprême du confort. Le long du bassin de la Villette, sous les arbres, ses roues sur la silice reproduisaient avec nostalgie le souffle grésillant d’un vieux gramophone. Sur l’autre rive, les parasols d’une terrasse plantaient l’ambiance d’une Riviera qui aurait pris ses quartiers dans la Capitale. Les péniches succédaient aux terrasses de café, les promeneurs étaient de sortie. Une touche de Japon me surprit au détour d’un virage.

Sakura !

Un bouquet d’arbres en fleurs apportait sa douceur blanche dans un univers qui demeurait encore très minéral. Il était une manière de me préparer à croiser une Geisha magnifique et troublante, déployant sa tenue traditionnelle sur toute la hauteur d’un immeuble. Dans un « Blade Runner » visionnaire, les façades de gratte-ciel devenaient les écrans de projection de publicités. Ici, il s’agissait d’une peinture. D’une belle et monumentale peinture, juste pour le plaisir de la contemplation. Elle inaugurait un parcours qui s’orne de nombreuses oeuvres de Street art. 

L’horizon s’ouvrait peu après, et la piste, en suivant au plus près le fil de l’eau et en dupliquant son horizontalité, présentait la rectitude sans limite d’une voie rapide. Impossible de résister à l’envie d’accélérer.

C’était grisant.

Quelques coups de pédale plus appuyés, le passage sur un plus gros braquet d’une petite pression sur la commande électronique, et je bondissais avec le Fauve, survolant toujours dans un silence égal les irrégularités d’un asphalte balafré de mauvaises racines. Les quelques virages à négocier pouvaient être abordés sans décélérer, le Fauve est d’une rare vivacité.

Avec l’éloignement, le décor adoptait progressivement une dominante végétale et m’invitait ainsi à prendre mon temps. Je pouvais ralentir, m’arrêter, contempler. Régulièrement, le long de ma « nationale », des panneaux de signalisation m’indiquaient les communes que je traversais

tout en me donnant la distance jusqu’à des villes plus éloignées. Il faut dire que cette voie est la E3, et qu’à ce titre elle vous guide à travers une bonne part de l’Europe.

Le début du voyage, vous dis-je

Je ne suis pas le seul à profiter de cette paix. Je vois bien quelques promeneurs, quelques cyclistes comme moi qui empruntent la voie sur la distance de leur choix ou bien des joggeurs courageux qui semblent sortis de nulle part.

Par-delà le courage que je leur reconnais, j’approuve leur choix : quel plaisir d’être en pleine nature pour développer son effort.

De mon côté, je note avec amusement que les fleurs blanches sont vraiment le signe de l’arrivée du printemps.

Elles ont sorti la tête et tapissent véritablement des pans entiers du sous-bois.

J’entame mon demi-tour et rentre vers Paris par le même chemin qu’à l’aller. Nul sentiment de déjà vu pour autant. Le trajet est abordé sous un autre angle. Je ne suis plus autant poussé par la même quête de m’évader, je viens de le faire. Je savoure en conscience l’expérience vécue, regarde autour de moi avec un œil reposé et constate qu’avec le soleil déclinant, la lumière projette une teinte dorée sur tout ce qui m’entoure, comme une façon de magnifier ce qui sera rangé dans ma mémoire au rayon des souvenirs simples et pleins.

Pantin a fière allure alors que je m’en rapproche. Il règne une grande quiétude le long des berges, les aménagements avec une belle largeur donnent à ces espaces l’air d’une promenade autant que celui d’une place. Ça tombe bien les habitants viennent visiblement en prendre possession pour se promener autant que pour se rencontrer. Une succession de ponts enjambent le canal. La vie se densifie. Avant de rentrer dans Paris se dressent les Grands Moulins : une sorte de château dominant dans un environnement de faible hauteur.

Passage sous le périphérique, entrée et traversée du Parc de la Villette. Il faut se montrer vigilant car les piétons, les cyclistes, les obstacles se multiplient. Au niveau de l’écluse, cela redevient la ville dans toute son activité et tout son bruit. 

C’est clair, je suis de retour. Une bonne surprise m’attend quelques mètres plus loin. Au bout du bassin de la Villette, les terrasses et les quais sont envahis par une foule détendue venue partager un verre dans la lumière déclinante d’une belle fin d’après-midi. Ce genre de grand rassemblement spontané est particulièrement accueillant. Je me laisse tenter et décide de me joindre à eux. Et là, commence un autre voyage.

 

Vincent Rebours

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