Jean-Baptiste et Lise Viot – Artisans de père en fille – Les émotions mécaniques

A Paris les vrais trésors peuvent être cachés au fond des cours et des jardins secrets. Pousser une porte, franchir un seuil, c’est souvent découvrir un nouvel univers hors de la ville et hors du temps. Y accéder peut être un véritable privilège.

C’est ce que semble confirmer le chant des oiseaux qui accompagnent notre arrivée dans l’atelier en fond de jardin, à deux pas de la porte des Lilas, où travaillent côte à côte Jean-Baptiste Viot, et sa fille Lise. Un atelier aux faux airs de cabinet de curiosité, où les pendules et autres garde-temps tapissent les murs et chantent de leur tic-tac une mélodie surannée. Au centre Jean-Baptiste, le maître-horloger passionné et peu pressé, vous accueille en blouse et charentaises, parmi plusieurs établis où deux apprentis à qui il transmet son goût de la précision, de l’épure et de l’horlogerie artisanale, oeuvrent en silence. L’établi de sa fille Lise, créatrice de bijoux, se situe à l’entrée.

Ensemble, ils partagent une même vision de cet artisanat qui donne du sens à la matière, et une même quête de perfection. A leur manière, ils célèbrent – comme la Maison Tamboite Paris – la poésie de la mécanique et de la recherche esthétique génératrices d’émotions singulières.

 

Un horloger artisan

Plus que comme Horloger, Jean-Baptiste Viot parle de lui comme d’un « mécanicien », celui dont le savoir-faire réside dans la mise au point d’un mouvement mécanique par un jeu complexe et technique d’engrenages et de transmissions. Le même qui participe à la fabrication d’un avion ou d’un vélo, ces outils doués d’intelligence rationnelle et dont la beauté découle d’une petite logique de forces. « Plus une mécanique est simple, et mieux c’est ! Prenez un vélo, c’est l’objet mécanique le plus performant qui soit. » Gageure de l’horlogerie, celle-ci se travaille au millième de millimètre pour mettre au point les plus petites mécaniques de précision assemblées par la main de l’Homme. Son amour des garde-temps, il l’attribue à la fréquentation de brocantes lorsqu’il était enfant. « Mon père m’emmenait tout le temps chez les brocanteurs, et à côté des objets anciens statiques, j’étais toujours fasciné par les horloges et les montres douées de mouvement. » Après une formation d’horloger-réparateur à l’Ecole municipale d’horlogerie de Paris, il est parti en Suisse, à l’Ecole technique de la Vallée de Joux, pour être horloger-rhabilleur avant de rejoindre le Musée international d’Horlogerie de La Chaux-de-Fonds où il obtiendra une spécialité de technicien en restauration d’horlogerie ancienne. Aujourd’hui, il joue de ces deux passions : la fabrication de montres mécaniques artisanales en petites séries, et la restauration et la réparation de pièces anciennes, notamment des pendules.

 

 Une montre-chronomètre de fabrication atelier

Après des années passées Place Vendôme chez Breguet et avant cela à la Vallée de Joux chez HDG (haut de gamme), un atelier spécialisé dans la mise au point de prototypes et la fabrication de montres à complications en sous-traitance pour des grandes maisons horlogères, Jean-Baptiste Viot s’est lancé dans la fabrication artisanale de montres pour son propre compte. En ce moment la fabrication d’une montre « chronomètre » tient l’atelier en haleine. Il s’agit d’un modèle unique riche de détails reconnaissables par les amateurs : une montre à platine centrale, des pièces de forme inédite, des aciers bleus inspirés du travail des anciens, et une décoration au charbon de bois très utilisée à Paris au XIXème siècle. « J’ai réalisé tous les calculs du mécanisme en épurant la proportion au maximum. Ensuite, quelques détails du cadran et le positionnement de certaines pièces sont choisis par le client. » Sa première commande a été passée en 2010, et la réalisation toujours en cours. Dans un book, l’histoire du projet est consignée mêlant dessins sur calques signés de la main de Jean-Baptiste Viot, tableaux de calculs et plans d’exécution de chaque élément. Une pièce unique, digne des « montres de commissions » telles qu’on les nommait à l’époque d’Abraham-Louis Breguet – célèbre horloger parisien né en Suisse en 1747 -, ces commandes spéciales destinées à des clients fortunés en quête de singularité et d’excellence. À un détail près, et de taille : chaque pièce – en tout plus d’une centaine dont les ponts, roues, pignons, le balancier mais aussi chaque vis – a été fabriquée à l’atelier. « À l’époque d’Abraham-Louis Breguet, un horloger était un « établisseur » qui fabriquait « en parties brisées » c’est-à-dire qu’il assemblait des pièces faites à la main par des dizaines de métiers spécialisés. Aujourd’hui la difficulté est qu’il n’est plus possible de sous-traiter quoique ce soit car tous ces métiers spécialisés ont disparu. »

 

Style et fabrication parisienne

 La montre qu’il a crée est de style parisien et s’inspire du calibre inventé par Jean-Antoine Lépine à Paris où la fusée est supprimée, la platine remplacée par des ponts et placée au milieu de l’épaisseur. Une manière de renouer avec l’excellence française horlogère des XVIII et XIXème siècle notamment, quand Paris était un haut lieu horloger avec des figures emblématiques comme Ferdinand Berthoud, célèbre horloger-pendulier, Julien et Pierre Le Roy inventeurs de l’horloge horizontale et des principes du chronomètre moderne, Robert Robin horloger de Louis XVI, Abraham-Louis Breguet père de la montre-bracelet et du mécanisme tourbillon, ou Antide Janvier, pendulier de génie. « Du siècle des Lumières aux années 1940, la Suisse n’avait pas encore développé les savoir-faire qu’on lui connaît aujourd’hui, et on allait à Londres uniquement pour la précision. Seule la France alliait la rationalité d’un mouvement à la poésie d’un garde-temps.» Une montre de facture parisienne nécessitera plus de pièces qu’une montre suisse, « chaque pièce étant plus simple à fabriquer par un artisan, comme moi, équipé en machines-outils. Cela facilite la fabrication artisanale et permet de renouer avec l’excellence de la fabrication horlogère française. »

Outils Viot

Pour l’amour des pendules

Son rêve : re-développer la pendulerie, ces gardes-temps destinés à la fixité et d’une pérennité supérieure à celle des montres. « Bien restaurée, une horloge de l’époque de Louis XIV est encore fonctionnelle, c’est ce qui est fabuleux. Par contre, vous ne porterez pas une montre à coq du XVIII ème siècle. » Alors que dans la fabrication d’une montre, quelques – rares – composants, comme les spiraux, ne peuvent être fabriqués même par l’artisan horloger, fabriquer une pendule permet de partir de la barre en métal. « Et puis le volume est moins contraint, ce qui permet de s’amuser davantage et d’être plus créatif. » Si, étudiant, Jean-Baptiste Viot avait travaillé à un concours horloger en construisant une pendule « très compliquée à partir d’un système différentiel avec deux organes régulateurs différents, donnant pourtant juste l’heure sans même sonner », il s’affirme aujourd’hui en quête d’épure et de simplicité dans ses mécanismes. Il travaille à la mise au point d’un modèle de pendule avec un montage haut-de-gamme qui pourrait être dupliqué. « Simplifier au maximum ne veut pas dire faire une pendule au rabais ; bien au contraire, réduire le nombre de pièces permet de pousser à l’extrême l’ajustage et la qualité de fabrication, ce qui constitue à mon sens un objet de qualité. »

 

 Archéologie horlogère

Dans le domaine de la restauration, des Musées, propriétaires de Châteaux ou marchands d’art lui confient d’anciennes pendules ou montres. « Restaurer, c’est comme partir en mission de spéléologie : on sait quand on commence, jamais quand on aura fini. À chaque fois, c’est une découverte et l’on ne compte pas notre temps. » Cette partie permet à Jean-Baptiste Viot de tirer des enseignements et de s’inspirer, car chaque pièce est unique, et jamais deux mécanismes identiques. « D’abord, nous démontons la pendule, la nettoyons, puis effectuons les réparations nécessaires. Souvent, nous devons refaire certaines pièces, notamment pour régler des soucis d’engrenage. Nous re-nettoyons ensuite l’ensemble, avant de remonter définitivement le tout en s’assurant que cela fonctionne. Nous travaillons l’ensemble de telle sorte à lui redonner son lustre d’antan en utilisant les techniques de l’époque. » Aujourd’hui, il s’occupe d’une pendule mécanique de fabrication suisse qu’il a pu dater d’entre 1730 et 1760 en observant son mécanisme. « À l’époque, les inventions horlogères partaient comme une traînée de poudre, car il n’y avait pas de brevet et rien n’était protégé. Entre 1720 et 1750, 40% des innovations qui étaient approuvés par l’Académie des sciences concernaient l’horlogerie, qu’il s’agisse d’un nouveau dispositif de force motrice, d’échappement, ou de sonnerie. Tout ce qui concernait la garde du temps était le « high-tech » de l’époque.» L’horloger joue ici l’archéologue, car en enlevant le cadran de l’horloge, il découvre des choses que ni le marchand ni le collectionneur n’atteignent. « Je fais parler la montre en révélant les traces qu’elle comporte, les indices qui permettent de restituer son histoire. Par exemple, les ressorts et les barillets sont souvent signés par les fabricants ce qui donne des indications géographiques et temporelles. Et parfois, en dérivetant une plaque, on a accès à la vraie signature de l’horloger. »

 

Lise Viot, métal et pierres précieuses

 « Après un apprentissage de gravure en taille douce sur métal chez Monsieur Prutner, j’ai complété ma formation en intégrant la section Bijouterie-Joaillerie de l’école Boulle afin d’y acquérir les techniques de la soudure, tout ce qui permet de donner forme à la matière et de mettre en valeur les pierres. » Ici, elle travaille tout aussi bien l’argent, que l’or ou le platine, pour y monter des pierres précieuses – diamant, rubis, saphir et émeraude-, des pierres fines – l’opale, notamment, sa pierre préférée -, ou des pierres ornementales comme le lapis-lazuli ou le jade. De son père, elle a hérité le goût de l’Artisanat, celui du pouvoir laissé à la main et au temps pour faire des créations sur-mesure, proposer des collections ou effectuer des réparations ou transformation de bijoux anciens. « Avec Lise, nous partageons un même goût pour la fabrication même si nous n’avons pas le même métier. Je suis heureux qu’elle ait choisi un métier de création et de fabrication car je crois que cela est épanouissant », dit d’elle Jean-Baptiste Viot. S’ils travaillent au sein du même atelier, parfois leur collaboration se fait plus étroite : Lise utilise quelques astuces d’horloger pour confectionner des bijoux mécaniques, fait des soudures sur certains ouvrages de son père quand lui la fournit en vis microscopiques. Au-delà de ces quelques « connexions sporadiques », ils ont travaillé ensemble sur la « lampe Acét’or », une reproduction miniature d’une lampe de minier à acétylène à porter en broche, boucle d’oreilles ou pendentif, réalisée en petite série grâce à une technique de moulage de fonte à la cire perdue.

Au delà de la création et de l’Artisanat, c’est peut-être là aussi un bel exemple de ce qui lie l’univers des Viot, père et fille, à celui de la Maison Tamboite Paris : une histoire de transmission des valeurs familiales et de collaboration intergénérationnelle.

Jean Baptiste et Lise Viot. L'exception de père en fille.
Jean Baptiste et Lise Viot. L’exception de père en fille.

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